Dienstag aus Licht

par | 10 Avr 2021 | Reportage Son

OU COMMENT CONCILIER HISTOIRE ET MODERNITÉ

Le vaste projet de la compagnie Le Balcon est de livrer au public le cycle « Licht » (Lumière) de Karlheinz Stockhausen, composé de sept opéras. Deux ont déjà repris vie : Donnerstag, à l’Opéra-Comique en 2018, puis Samstag, à la Cité de la musique en 2019. L’unique représentation du troisième, Dienstag, le 24 octobre 2020 à la Philharmonie de Paris, avait bien failli passer à la trappe, la deuxième vague de Covid-19 refermant une fois encore les portes des salles. Souffrant nous-mêmes du manque de concerts, et avec une envie folle de revoir flight cases, micros et consoles, nous avons pu nous glisser dans ce lieu prestigieux pour assister aux derniers préparatifs et nous entretenir avec Florent Derex, directeur du Balcon et ingénieur du son.

Conçue en 1977, Licht : les Sept Jours de la semaine est l’œuvre de la seconde partie de la vie de Stockhausen. Chaque jour est relié dans une grande cosmogonie et déploie dans le temps l’existence, les alliances, les conflits et les sentiments de trois personnages, Michaël, Eva et Lucifer. Mener à bien ce projet représente un défi à relever pour les trois producteurs que sont Le Balcon, la Philharmonie de Paris et le Festival d’Automne. Autre point à considérer, le cadre temporel dans lequel Le Balcon fait entrer ce type de production, qui, ici, ne se joue pas dans un opéra mais dans une salle de concert, et pas des moindres. Ça change la donne. Disposer de la salle de la Philharmonie de Paris plus d’une journée est en effet quasiment impossible, et les quatre jours accordés à Dienstag (Mardi) furent une bénédiction pour Le Balcon.

SONO Mag : Mettre en scène un tel spectacle pour une seule représentation, n’est-ce pas un peu dispendieux ? Avez-vous l’intention d’exploiter les captations ?

Florent Derex : Si nous continuons à la Philharmonie de Paris, nous serons en effet contraints au même timing, avec une générale la veille et une seule représentation sur place. Ce qui ne veut pas dire que nous ne travaillons pas dans un autre lieu en amont, bien sûr. Pour Dienstag, c’est La Muse en circuit, le Centre national de création musicale (CNCM) d’Alfortville, qui nous a accueillis en résidence pour le montage de la production. C’est effectivement très frustrant de monter de tels projets pour une courte durée, mais la condition préalable était de combiner ce spectacle avec des partenaires (la Philharmonie, le Festival d’Automne et Medici.tv) qui travaillent sur la diffusion de ces productions afin de leur accorder une plus large visibilité. Pour le moment, nous sommes sur le modèle des plateformes vidéo en ligne. Les spectacles peuvent être visionnés sur Medici.tv, un site payant français, le « Netflix de la musique classique », et en accès gratuit sur la plateforme de Philharmonie de Paris-Live.

SONO Mag : A l’époque, la diffusion était assurée par Stockhausen lui-même, et la partition contient une multitude d’informations musicales destinées à l’ingénieur du son. Quid de l’adaptation moderne ?

F. D. : Pour répondre, je vais d’abord remettre en perspective le métier d’ingénieur du son dans les salles de spectacle. Stockhausen a poussé l’arrivée de dispositifs techniques en termes de son dans des salles de concert dédiées à la musique écrite, ce qui est notre cas au Balcon, et qu’il faut bien dissocier de toute la culture pop rock, qui, elle, est née de la technique. Même si les services audiovisuels existaient déjà dans les différentes salles à l’époque où travaillait Stockhausen, ceux-ci n’intégraient pas de profils de sonorisateurs et d’ingénieurs du son dédié au live. S’il y avait un projet son autour d’un spectacle/opéra, il fallait le faire tout seul. Lui pensait au spectacle dans son intégralité, dans la lignée de Wagner et de sa Tétralogie. Il a créé tout cela sur un principe de troupe, dans lequel travaillent ensemble artistes et techniciens. Pour les représentations, il se déplaçait sur les différents sites avec ce cercle.

C’est un peu lui qui a donné ce terme de projectionniste sonore en interprétant Licht depuis la table de mixage et en faisant disparaître l’orchestre, remplacé par des instruments solistes mis en scène. Il travaillait avec des chœurs enregistrés et spatialisés autour du public. Du vivant de Stockhausen, l’interprète n’était autre que lui-même, le grand garant des équilibres musicaux, qu’il rapatriait sur une console son. Puis, les balances et tous les effets de l’époque sont devenus source d’évangile et font désormais partie de la partition.

L’idée est donc de comprendre l’utopie sonore du compositeur et de nous placer dans une perspective un peu nouvelle par rapport aux œuvres supervisées par la Stockhausen Foundation for Music, qui respecte à la lettre toutes les notices, dans une approche très muséographique.

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