Théâtre dansé

par | 10 Déc 2020 | Reportage Lumière & Vidéo

QUAND LA LUMIÈRE JOUE SON RÔLE

« Dans la solitude des champs de coton » est une pièce de théâtre écrite en 1985 par Bernard-Marie Koltès. Très fréquemment jouée, elle est actuellement à l’affiche dans une mise en scène de Marie-Claude Pietragalla, dite Pietra, et Julien Derouault, au sein de leur compagnie le Théâtre du corps. Sur scène, Julien Derouault et Abdel-Rahym Madi expriment le texte à travers leur voix et leur corps, dans une remarquable alchimie de danse et de jeu théâtral. La mise en scène puissante nous cueille. Et l’osmose entre cette présence d’artistes et le design lumière, la façon dont l’une comme l’autre se répondent, se tendent, se complètent pour finalement ne faire qu’un, ne pouvait que nous inciter à chercher à en savoir plus. Rendez-vous est donc pris à Bellegarde-sur-Valserine, dans l’Ain, lors de l’une des premières dates de la programmation de la pièce, qui court jusqu’en mai 2021.

Arrivés au Théâtre Jeanne-d’Arc, nous retrouvons Alexis David, le concepteur lumière du spectacle, accompagné de Maxime Ducamps, son pupitreur et ami. Originaire, comme Alexis, du Pas-de-Calais, Maxime s’intéresse à la lumière de spectacle dès son adolescence et intègre en 2007 le DMA régie de spectacle option lumière de Besançon. Un cursus très transversal et complet qui lui permet d’aborder tous les aspects de la lumière. Designer pupitreur depuis 2010, il intervient principalement en concerts et tournées.

Si Maxime est presque trentenaire, Alexis n’a quant à lui pas connu le XXe siècle. Né en 2000, il n’est présent dans le monde de l’éclairage professionnel que depuis quelques saisons et travaille avec Pietra et Julien Derouault depuis un an. Il a repris le design du spectacle La femme qui danse, où Pietra est seule sur scène dans une mise en scène signée de Julien. Il en assure aussi le pupitrage. Mais c’est aujourd’hui son travail sur Dans la solitude des champs de coton qui nous intéresse. Nous sommes rejoints par Julien Derouault. Le danseur s’est rendu disponible, à quelques heures du lever de rideau. Artiste comédien danseur sur la scène, co-metteur en scène du spectacle, nous savons qu’il a une vision affirmée du rôle de la lumière de scène. Dès leur premier spectacle Sakountala, créé en 2000, Julien et Pietra ont en effet montré leur attirance pour la mise en lumière des corps, à travers le destin des sculpteurs Camille Claudel et Auguste Rodin. De multiples créations ont ensuite vu le jour, certaines habitant des univers scéniques virtuels en vidéo mapping (voir SONO Mag n° 394, novembre 2013). Pour le Théâtre du corps, la compagnie de Pietra et Julien, les limites de la scène doivent sans cesse être repoussées, à tout point de vue.

SONO Mag : Merci de m’accueillir dans ce joli Théâtre Jeanne-d’Arc. Avant tout, comment vous êtes-vous rencontrés ?

Julien Derouault : Comme bien souvent, cela a été une histoire d’échanges entre personnes qui se font confiance. Pietra et moi avions travaillé en 2013 avec Nils Limoge, de Stars Europe, pour notre projet M. & Mme Rêve. C’est Nils qui m’a parlé d’Alexis, alors âgé de seulement 19 ans.

SONO Mag : Quelles sont les raisons qui poussent des artistes expérimentés et exigeants à travailler avec une jeune pousse comme Alexis ?

Julien : Notre spectacle met en scène des personnes malmenées, pleines de désespoir mais aussi d’énergie. Qui mieux que des jeunes créateurs peuvent retranscrire cet univers ? Pour filer la métaphore, les jeunes sont comme le laser, qui concentre son énergie pour produire un faisceau lumineux exceptionnel. Leur énergie est présente, vivace, elle explose à tout instant dans le spectacle. Alexis a réalisé le design lumière de cette pièce, mais aussi entièrement retravaillé celui du spectacle La femme qui danse, où Pietra est seule en scène. Et c’est aussi un môme de 20 piges qui en signe la musique. Mais le fait qu’il soit jeune n’est bien entendu pas le leitmotiv. S’il ne savait pas travailler, il ne serait pas là. Je cherchais quelqu’un qui maîtrise les asservis. Quand Nils m’a parlé d’Alexis, je suis allé voir son travail. Il n’avait pas fait grand-chose, mais c’est tout le paradoxe de la jeunesse. Je connais bien cela avec la danse. Lorsqu’on débute, on entend en permanence « vous n’avez pas expérience ! ».

Encore heureux. Ces remarques sont ridicules. Même si Alexis n’avait pas fait grand-chose, donc, je trouvais dans son travail une approche très intéressante. Il ne tombait jamais dans la caricature du déploiement de matériel à outrance. La quantité de machines ne compte pas. Ce qui importe est le rythme de leur utilisation, comment on les allume et comment on les éteint. Comment on fait vivre tout cela pour porter les artistes. En théâtre et en danse, c’est d’autant plus nécessaire. La lumière doit être un catalyseur de l’attention du public. Il faut que le designer ait une vraie compréhension de ce qui se passe sur scène. Alexis possède aussi une grande capacité d’écoute. J’ai connu des créateurs lumière que leur ego poussait à mettre leur travail en avant, à ce que leur design prenne le pas sur le spectacle. A mon sens, on ne doit pas remarquer la lumière. Elle doit participer à la narration du spectacle.

Si ce n’est pas le cas, elle devient de la simple décoration. Alexis s’est beaucoup intéressé au texte, à nos envies. Il est avide de toutes les vidéos que je peux lui envoyer, et j’ai vraiment souhaité que les échanges se construisent très tôt, bien avant la résidence. C’est d’autant plus important qu’aujourd’hui ce temps de résidence est réduit à la portion congrue, quelques jours tout au plus. Ce n’est pas à ce moment-là que l’on peut vraiment développer l’aspect création, surtout avec un texte aussi puissant que cette pièce de Koltès.

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