EN COULISSES AVEC JOHNNY
Figures clés des spectacles de Johnny Hallyday, Roger Abriol, Jacques Rouveyrollis et Bernard Schmitt cumulent à eux trois pas moins de cent-dix ans de fidélité au chanteur. Roger a été responsable du son, puis a assuré la direction de production des concerts. Jacques en a conçu la lumière et Bernard a été en charge de la mise en scène. Ils viennent d’éditer Johnny Hallyday Private Access – À ses côtés en coulisses, un livre-témoignage richement illustré sur leur expérience avec l’idole des jeunes.
C’est à l’occasion de leur présence aux JTSE, où ils ont assuré une séance de dédicace, que nous avons eu le privilège d’échanger sur leur expérience.
SONO Mag : Quand et comment a commencé votre collaboration avec Johnny Hallyday ?
Roger Abriol : L’époque était propice aux aventuriers passionnés. Les métiers du spectacle tels que nous les connaissons aujourd’hui n’existaient pas, mais les opportunités étaient quotidiennes, et la passion pour la musique et les spectacles nous animait. Pour ma part, j’avais été plongé dans le grand bain en collaborant avec Michel Polnareff lors de ses cinq dernières années en France, pour les spectacles « Polnarêve » et « Polnarévolution », jusqu’au début des années 1970. Après ces expériences passionnantes, j’ai enchaîné avec Johnny le 20 novembre 1974, et notre collaboration a continué durant toute l’existence de l’artiste, puisque je fais partie des personnes qui ont organisé les obsèques de Johnny.
Jacques Rouveyrollis : Roger et moi nous connaissons depuis nos débuts. Nous avons travaillé ensemble avec Polnareff, puis j’ai réalisé la lumière d’artistes comme Joe Dassin, Mike Brant ou Christophe. Au départ, je suis arrivé sur une date de Johnny Hallyday à l’occasion d’un simple remplacement. C’était le début d’une collaboration qui a duré quasiment jusqu’à la fin de la carrière de l’idole des jeunes. Il n’y a que la dernière tournée des vieilles canailles que je n’ai pas réalisée.
Bernard Schmitt : Je suis arrivé plus tard, avec l’apparition des clips. Je réalisais en fait tous les clips de Jean-Jacques Goldman et Johnny m’a alors contacté pour que j’en réalise un pour lui. Finalement, nous en avons produit 20 ensemble. À l’époque, Michel Berger m’avait engagé comme conseiller artistique, je ne savais d’ailleurs pas bien ce que ça voulait dire, et j’ai enchaîné avec les spectacles de Johnny pour finalement travailler sur 15 d’entre eux.
SONO Mag : De quelle nature étaient les relations de Johnny avec ses équipes techniques ? S’intéressait-il à la technique, au son, à la lumière, à la scénographie ?
Roger Abriol : Johnny basait ses relations sur la confiance. Il avait bien entendu des idées sur ce qu’il désirait, et nous en avions aussi à lui soumettre. Partant de cela, dès lors qu’une idée avait suscité son intérêt ou que nous avions réussi à traduire une de ses demandes, nous lui présentions une maquette de ce que serait sa scène, un condensé des images qui défileraient sur les écrans… À partir de là, il nous laissait totalement libres de la réalisation. Johnny était un taiseux, il n’y avait jamais de grands débats enflammés, c’était avant tout la confiance qui primait.
Bernard Schmitt : En fait, si nous nous replaçons dans le contexte, il faut bien réaliser qu’au moment où nous avons commencé à travailler sur les spectacles de Johnny, l’équipe se limitait en tout et pour tout à quatre personnes plus lui. À l’époque, il n’y avait pas de cohorte de fans ou de journalistes à ses basques, pas non plus de bande de copains et de parasites divers. Nous étions un tout petit groupe et il était simple et vital d’être très solidaires. La confiance était vraiment le maître-mot, mais cela ne signifie pas du tout qu’il se désintéressait du projet. Bien au contraire. Lorsqu’une idée avait été validée, il s’agissait de s’y tenir et de la réaliser au fil des spectacles telle qu’elle avait été calée. Il n’était pas question par exemple de lui annoncer avant un spectacle que finalement, telle option n’allait pas être possible aujourd’hui. Il ne l’aurait pas toléré. Le mot impossible ne faisait pas partie de son vocabulaire.
Jacques Rouveyrollis : En 42 ans de collaboration avec Johnny, nous avons dû parler en tout et pour tout de lumière pendant 10 minutes. Il n’est venu que deux ou trois fois en salle pour voir ce que donnait l’éclairage. À une seule occasion, au Palais des Sports de Paris, il a demandé à assister à l’intégralité du spectacle. Bernard avait pris sa place sur scène comme doublure lumière. Peut-être n’avait-il pas ce jour-là envie de répéter. Il a eu cette idée de faire jouer Bernard à sa place et en a profité pour se faire une idée de la lumière et du son de ce spectacle. À la fin de ce filage, il est monté sur scène comme si de rien n’était.
SONO Mag : Si l’on met de côté l’usage de la bougie, vous avez connu avec Johnny quasiment toute l’évolution des techniques du son et de la lumière du spectacle. Pouvez-vous nous dire quelles étapes technologiques ont significativement influencé les spectacles ?
Roger Abriol : Concernant le son, c’est indiscutablement l’arrivée de la HF, et particulièrement des ears monitors, en 1998 au stade de France, qui a fait franchir le plus grand cap. Cela a totalement libéré des artistes par rapport à leurs déplacements sur scène, ils n’avaient plus de fil à la patte. Avant les IEM, nous placions une quantité incroyable de wedges sur scène, et le niveau sonore sur le plateau était titanesque. J’ai d’ailleurs compris au fur et à mesure des dates que ce n’était pas seulement le niveau sonore qui intéressait Johnny, il se créait avec ses retours un véritable environnement, une bulle de son qui le plaçait dans un autre univers.
Paradoxalement, le passage aux IEM n’a pas posé de problème à Johnny, qui a tout de suite compris la liberté que cela lui donnait sur scène. Il n’a en revanche jamais exigé de ses musiciens qu’ils passent tous aux ears en même temps que lui. Certains ont gardé leurs wedges.
Concernant les autres évolutions technologiques telles que les consoles numériques ou les systèmes line array, Johnny ne s’y intéressait pas du tout. Il nous faisait également totalement confiance pour les choix.
Bernard Schmitt : D’un point de vue scénographique, avant l’avènement de la HF et des ears, la scène était totalement encombrée de matériel. Johnny devait se limiter à une zone très contrainte du fait du câblage, et les possibilités de mise en scène étaient régies par ces limitations. La HF nous a ouvert le champ des possibles de façon incroyable. Non seulement ce n’était plus sur scène l’apocalypse sonore en termes de décibels, mais chacun entendait parfaitement ce qu’il souhaitait, et les artistes avaient gagné un espace totalement libre pour évoluer.
Roger Abriol : Johnny a aussi été précurseur dans l’utilisation d’une autre solution technique, le prompteur. Même s’il connaissait ses textes, le prompteur est vite devenu pour lui un compagnon de scène rassurant. Cela a été très décrié au départ, mais ensuite, de nombreux artistes ont utilisé à leur tour un prompteur. Je peux citer l’un d’entre eux, qui pourtant était auteur-compositeur de ses chansons, il s’agit de Serge Gainsbourg.
Bernard Schmitt : Au cours de sa carrière, Johnny a chanté plus de mille chansons différentes. Il utilisait le prompteur comme guide chant occasionnel. Un coup d’œil sur le premier mot d’un couplet lui suffisait pour se remémorer l’ensemble.
Jacques Rouveyrollis : Roger et moi venions de l’équipe de Michel Polnareff où nous étions de véritables enfants gâtés, avec tout le matériel à la pointe à disposition. Lorsque je suis arrivé pour le remplacement sur la date de Johnny en 1974, mon kit se limitait à cinq projecteurs par côté plus une poursuite. Pour diriger la poursuite, je demandais à un des spectateurs de le faire ! Le grand écart. Pour la tournée « Johnny Circus », nous avons dû totalement nous remettre en question et tout réinventer. Dix ans plus tard, lors du spectacle au Zénith, il y avait 4 000 projecteurs dans la salle.
SONO Mag : Johnny a réalisé 184 tournées et plus de 3 400 concerts. Quel est pour vous le souvenir le plus marquant parmi les nombreux moments passés avec l’artiste ?
Roger Abriol : C’est une belle question, mais il est très compliqué d’y répondre tant j’ai de bons souvenirs. S’il fallait retenir un moment, ce serait pour moi l’entrée de Johnny au Parc des Princes. Nous avions eu l’idée de faire entrer Johnny par le fond du terrain, un concept qui paraît simple et intéressant lorsque le stade est vide. Lorsque nous sommes arrivés le jour du concert et que le stade était plein, c’était une vision d’enfer, et nous nous sommes fait littéralement insulter par la production.
Bernard Schmitt : Finalement, il a été décidé de conserver l’idée et Johnny a traversé la foule entouré de gardes du corps et avec un caméraman qui le suivait. L’ambiance était absolument bon enfant, mais il y avait une telle ferveur dans la foule que cela induisait une pression considérable. Le cadreur a eu deux côtes cassées rien que par la pression de la foule. Il suffit de visionner le film de cette traversée pour se rendre compte de l’ambiance. Johnny, par professionnalisme, traverse la foule en souriant et en essayant de paraître détendu, mais les gardes du corps comme Camus, le producteur, sont terrorisés. Un moment exceptionnel tant par le stress qu’il a généré que par l’émotion qui en émerge.
Jacques Rouveyrollis : Mon plus beau souvenir avec Johnny, il a simplement duré 42 ans.
Merci à Jacques, Bernard et Roger pour leur disponibilité enthousiaste.
SONO Mag remercie également l’Alliance, et plus particulièrement son président Arnaud Leschemelle, grâce à qui cette interview a pu être réalisée.